Rencontre avec Sandra Laugier à l'occasion du colloque DEMOSERIES sur le 11 septembre
Les 30 septembre et 1er octobre prochains, le projet de recherche européen DEMOSERIES (Shaping Democratic spaces : security and TV series), hébergé depuis janvier 2020 par l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, organise, en partenariat avec l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), un colloque international sur les attentats du 11 septembre. Un projet scientifique porté par la philosophe de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS) Sandra Laugier.
Pourquoi avoir choisi de consacrer un colloque international au 11 septembre ?
Sandra Laugier : Le 11 septembre est un événement traumatique et un choc majeur qui se prolonge dans le temps. Vingt ans après, nous en parlons encore et nous rappelons où et quand nous avons vu les images des tours ! Le 11 septembre ce n’est pas seulement ce qui s’est passé ce jour-là mais ce qu’il en reste, notamment dans les séries et plus largement dans la culture médiatique. Un ensemble de prolongements qui constitue également une dimension de cet évènement auquel nous continuons à être confrontés dans nos représentations.
Quelle est l’ambition du projet DEMOSERIES et en quoi le 11 septembre est-t-il l’un de ses objets d’étude ?
S. L : DEMOSERIES est un projet de recherche européen qui porte sur les séries TV sécuritaires. Ce genre de série, inspiré par le sentiment d’insécurité dans lequel s’est trouvé le monde occidental suite au 11 septembre, s'est développé de manière exponentielle. 24 heures chrono, par exemple, est la première d’entre elles. Il y a également Homeland, puis beaucoup d’autres qui ont suivi.
Au départ, DEMOSERIES avait pour ambition de s’intéresser à ce genre de séries et de comprendre pourquoi et comment elles se sont développées. Ces études nous ont conduits à d'autres réflexions : Qu’est-ce-que la sécurité ? Pourquoi sommes-nous toujours aujourd'hui dans l’héritage du 11 septembre ?
Les États-Unis ont été les premiers à développer ce genre de séries, pourquoi ?
S. L : En réalité c'est Israël qui a porté le genre. Mais il y a une capacité culturelle chez les Américains à revenir sur les évènements qu’ils ont vécus, c’est leur force. Homeland, par exemple, est une façon d’assumer et de prolonger la réflexion autour de la sécurité nationale, et des risques qu'elle crée elle-même pour la démocratie.
En France, la situation est différente : nous n'avons que rarement été capables d'avoir ce regard sur nous-mêmes, par exemple sur la guerre d'Algérie. Les attentats de novembre 2015 ont bousculé nos certitudes et ont suscité une impression de très grande fragilité, et donc une créativité.
D’autres pays ont-ils suivi cette tendance ? En quoi les séries sont-elles un outil pour surmonter les évènements politiques et sociétaux que nous vivons ?
S. L : De nombreux pays se sont mis à évoquer sérieusement le terrorisme à l’image de la France, après 2015, avec Le Bureau des légendes, série emblématique du genre. L’Italie, l’Espagne ou encore Israël ne sont pas en reste… Les séries "sécuritaires" représentent l'importance du renseignement : avoir l’information et savoir l’utiliser devient un enjeu essentiel. La fiction devient alors un outil pour concevoir l’inconcevable : si nous sommes en mesure d’analyser et de comprendre la situation, nous pourrions éviter le pire. Les événements traumatiques y sont traités avec toute une réflexion sur la sécurité collective. Certaines séries TV rassurent et prennent soin des personnes suite à des événements qui engendrent une très grande vulnérabilité.
Comment s’est noué le partenariat avec l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) ?
S. L : Nous collaborons avec l’IRSEM depuis de nombreuses années. Nous avions notamment travaillé ensemble après les attentats de novembre 2015 dans le cadre d'un appel à projets du CNRS.
Lorsque nous avons décidé de monter ce colloque international, il nous semblait impensable de proposer un évènement purement universitaire, il fallait le faire avec les acteurs. La Défense possède des outils théoriques pour répondre aux questions liées à la sécurité. Elle apporte une vision différente et plus pratique. Il y a d’ailleurs de plus en plus de collaborations entre l'Armée, les acteurs du renseignement et les scénaristes de séries TV et de films.
Comment les intervenants du colloque ont-ils été sélectionnés ?
S. L : Dans le cadre des recherches menées par DEMOSERIES, nous avions déjà des contacts avec des chercheurs et experts. Et à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et dans l'université en général, de nombreuses recherches ont été faites sur les enjeux et questions liés au 11 septembre. Les sciences humaines et sociales dans leur diversité sont un outil essentiel pour mieux comprendre et prévenir les phénomènes de violence.
Par ailleurs, il y a toute une réflexion politique sur ces sujets. Autant en France qu’aux États-Unis et en Israël, ce sont des questions qui intéressent : notamment les menaces qui pèsent sur les libertés et la démocratie au motif de la sécurité. Les fake news, le conspirationnisme sont des phénomènes qui sont, en un sens, nés des attentats.
Quels seront les temps forts de ces deux jours de colloque ?
S. L : Le colloque offrira aux participants des interventions inédites et sera ponctué par plusieurs temps forts à l’image de l’allocution de Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Mireille Delmas-Marty, professeure émérite au Collège de France, sera également présente. Elle abordera la question des restrictions des libertés et de la société de la peur. Nous aurons aussi le plaisir d'accueillir Ali Soufan, ancien agent du FBI spécialiste de la lutte contre le terrorisme et personnage central de la série culte The Looming Tower. Lawrence Wright, journaliste lauréat du prix Pulitzer pour l'enquête à l'origine de la série, sera également présent. La table-ronde finale promettra d’être elle aussi passionnante. En collaboration avec le mémorial du 11 septembre à New-York, elle donnera une dimension internationale à la réflexion sur le trauma tout en s’ancrant pleinement dans l’actualité française avec la réflexion autour d’un musée mémorial des attentats de novembre 2015.
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