Ariane Jouhaud à la Sorbonne ArtGallery
Le 9 Janvier 2020, Ariane Jouhaud recevait le prix du jury de la quatrième édition du prix Panthéon-Sorbonne pour l’art contemporain au Bastille Design Center pour son œuvre Rio Project.
Décerné par un jury composé de figures emblématiques du marché de l’art, telles que Yoyo Maeght, Orlan ou Touria El Glaoui, ce prix vient encourager la jeune création. Ariane Jouhaud est la lauréate de l’édition 2020 pour son une œuvre Rio project. Une œuvre à la croisée de l’art, du fantasme alchimique et de l’engagement en faveur de la sauvegarde de la culture et du patrimoine brésilien qu'elle expose actuellement la Sorbonne ArtGallery.
Entretien avec l’artiste
Pouvez-vous nous parler de la série photographique présentée à la Sorbonne ArtGallery ? Est-elle la pièce majeure du projet ?
La série de neuf photographies exposées à la Sorbonne ArtGallery correspond à une sélection de neuf diapositives originales dans lesquelles sont directement placées les cendres du musée national de Rio. Les cendres sont glissées entre deux plaques de verre ; ce dispositif permet de réaliser une composition à la manière d’un assemblage. Une fois scellées, les diapositives peuvent être directement projetées dans l’espace grâce à un projecteur adapté. Afin de proposer une série de tirages, les diapositives de cendres sont placées dans un agrandisseur qui permet de réaliser une impression argentique en négatif. Les tirages argentiques peuvent ainsi être scannés à haute définition puis numérisés. À partir de cette étape, j’ai fait un choix esthétique en organisant leur ordre d’apparition et en alternant les tirages positifs et négatifs afin d’imposer un rythme de lecture de la série. Ce dispositif de fabrication d’image est une partie majeure du projet, il donne une identité visuelle au Rio Project.
D’où vient cette idée de travailler sur les ruines du musée national de Rio ? Comment en êtes-vous venue à récupérer les cendres de ce lieu ? Est-ce que la mémoire collective et la sensibilisation à la culture ont toujours fait partie de votre démarche artistique ?
Il y a quelques années, j’ai réalisé une série de sculptures reprenant l’idée de fausses ruines. En parallèle, je collectionnais les images de propagande de l’État islamique mettant en scène la destruction du patrimoine. Ces images circulaient en libre accès sur internet, notamment la destruction du site antique de Palmyre. Le lendemain de l’incendie du musée national de Rio, j’étais choquée et fascinée par la force des images ainsi que l’ampleur du drame, j’ai alors commencé à collecter les images réalisées par des chaînes de télévision afin de faire un montage vidéo. Cet événement coïncide avec mon arrivée en master à l’École nationale supérieure des arts décoratifs où j’ai fait la connaissance d’Isabella Aurora qui est originaire de Rio. Après la réalisation d’une première installation commune portant sur la destruction des collections du musée et sur leurs renaissances symboliques, nous avons eu l’idée de contacter les responsables du musée afin qu’ils nous envoient une partie des cendres du bâtiment. La question de la fragilité de la mémoire collective est au cœur de mes recherches actuelles. Je trouve particulièrement intéressant de confronter cette réflexion à des lieux et des événements réels, cette démarche est inspirée par le travail d’artistes contemporains comme Pascal Convert et le duo Anne et Patrick Poirier.
La série photographique présentée à la Sorbonne ArtGallery n’est qu’une petite partie du Rio Project, bien qu’elle soit majeure. Pouvez-vous nous parler du reste de votre œuvre et de la présence de la science dans celle-ci ?
Le Rio Project est une installation multimédia composée de sculptures en bois, de projections d’images et de vidéos, d’objets alchimiques en verre, du diamant artificiel et des cendres du musée présentées sous forme de diapositives. Tous ces éléments s’articulent autour d’une matière-mère : le carbone contenu dans les cendres. Je concentre depuis plusieurs mois mes recherches sur le pouvoir symbolique, mémoriel et affectif qui réside dans la matière, en associant l’art et la science à travers une série d’expérimentations plastiques et scientifiques. En manipulant le carbone je cherche à recréer symboliquement ce qui a disparu dans l’incendie. C’est un projet qui mêle l’art et la science dans le sens où j’ai dû faire appel à des scientifiques pour mieux comprendre comment transformer la matière, mais ma démarche reste artistique. Plus que la science, ce projet convoque l’alchimie. C’est sous ce prisme que ce projet a pu voir le jour, loin des entraves de la réalité scientifique. Plus qu’une science, l’alchimie est une croyance et vaut surtout pour son symbolisme.
Quel est l’avenir du Rio Project ? Avez-vous prévu de le faire voyager au Brésil ? Comment allez-vous transporter votre matériel là-bas ?
Le Rio Project ne prendra son véritable sens que lorsque les cendres sublimées retrouveront le lieu du désastre, à Rio. C’est cette étape cruciale que j’espère pouvoir développer dans les prochains mois. Je travaille actuellement à la construction d’une caisse de transport pouvant contenir tous les éléments de l’installation, afin de faciliter son déplacement. Elle constituerait également un musée portatif. Cette nouvelle construction présenterait un aspect scénographique, mis au service d’un but pratique : préparer l’installation à son départ pour le Brésil. En effet, je souhaiterais, dans le prolongement de ce projet, me rendre sur le site du musée national de Rio, avec Isabella Aurora, pour montrer le progrès de nos recherches et interroger les chercheurs et restaurateurs qui y travaillent. Les responsables du musée, nous ont fait part de leur intérêt pour le diamant artificiel qu’ils aimeraient ajouter à leurs futures collections.
Faire des partenariats semble être inscrit dans votre démarche artistique. Ici, Isabella Aurora, artiste brésilienne, travaille avec-vous sur le Rio Project. Pouvez-vous nous parler de l’importance des partenariats dans votre travail en général ?
Je suis très intéressée par les tentatives actuelles de rapprochement entre recherches artistiques et scientifiques et particulièrement sensible aux projets réalisés en collaboration avec des chercheurs, cela touche au cœur des projets que j’ai initiés ces deux dernières années. Je suis également sensible à l’effervescence du travail de groupe, aux rencontres avec des individus dont la diversité de cultures et de pratiques permet l’élaboration d’œuvres pluridisciplinaires. Cette approche de la création, à plusieurs mains, est à l’origine d’un projet de galeries miniatures que je développe actuellement.
Rio Project est votre première exposition individuelle. Comment vivez-vous le fait de présenter vos œuvres, qui sensibilisent à la mémoire collective, au sein de la Sorbonne ArtGallery, elle-même étant une institution de savoir ?
Le bâtiment qui a brûlé en septembre 2018 ne contenait pas uniquement le musée national du Brésil, c’est l’intégralité du Palais da Quinta da Boa Vista qui a été détruit cette nuit-là. Cette ancienne demeure impériale accueillait le musée mais également l’Institut de recherche fédérale de l’université de Rio. Dans l’incendie tout a été ravagé, les collections précieuses et uniques du musée mais également 200 ans de recherches et de documentation. Les cendres que nous avons récupérées proviennent de cette bibliothèque dont il ne reste aujourd’hui que des cendres. Présenter les traces de ces documents à l’occasion d’une exposition à l’intérieur de la Sorbonne résonne comme un avertissement. Le Rio Project soutient une réflexion sur les profondeurs du déséquilibre social et climatique que nous vivons aujourd’hui et sur les transformations qu’ils entraînent. La mémoire apparaît ici comme un outil dont il faut s’emparer pour mieux le préserver. Il paraît urgent de faire vivre cette mémoire grâce à la médiation en tissant un réseau international d’acteurs engagés qui interagissent dans le monde de l’art, de la science mais aussi dans des lieux de savoir et de culture comme la Sorbonne. Je suis très fière de pouvoir présenter mon travail dans un lieu aussi emblématique et je tiens à remercier tous les acteurs du prix Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour cette belle opportunité ainsi que Yann Toma, le commissaire de la Sorbonne ArtGallery.
Interview réalisée par Joséphine Dubail, stagiaire à la Sorbonne ArtGallery et étudiante en Liberal Arts à King’s College London.
► L’exposition est visible jusqu’au 25 septembre 2020 dans la Galerie Soufflot basse du centre Panthéon
► Plus d’informations sur le site de la Sorbonne ArtGallery